COLLOQUE DE

L'ASSOCIATION QUÉBÉCOISE DE DROIT COMPARÉ

 

" Dans la foulée des réformes municipales "

 

 

Rapport général de synthèse


La fiscalité locale québécoise peut-elle remplir ses promesses ?

 

 

Jacques L’Heureux, professeur

Faculté de droit

Université Laval

Ste-Foy (Québec)

 


le 20 avril 2001

Hôtel Marriott Château Champlain, Montréal


 

 

Introduction

 

L’année 2000 aura été une année particulièrement importante pour les institutions municipales québécoises. En juin, le projet de loi 124 a facilité le regroupement de municipalités locales et a même autorisé le regroupement forcé de telles municipalités. Le même mois, le projet de loi 134 a créé la Communauté métropolitaine de Montréal. En décembre, le projet de loi 170 a regroupé un grand nombre de municipalités pour créer, dans les parties les plus populeuses du Québec, les très grandes villes de Montréal, de Québec, de Longueuil, de Hull-Gatineau et de Lévis et pour créer la Communauté métropolitaine de Québec. Le même mois, le projet de loi 150 a apporté plusieurs modifications à des lois municipales, y compris à la Loi sur la fiscalité municipale. Il autorise, en particulier, toute municipalité locale à fixer, pour un exercice financier, plusieurs taux de taxation foncière générale en fonction des catégories auxquelles appartiennent les unités d’évaluation. Les règles données à ce sujet (les nouveaux articles 244.29 à 244.64 de la Loi sur la fiscalité municipale) sont d’une grande complexité, selon l’habitude bien établie du législateur municipal.

 

Comme en Ontario, la très importante réforme municipale québécoise a été faite, sans avoir été préalablement annoncée par le parti au pouvoir avant les dernières élections.

 

Le but de la réforme, d’après le document de la ministre des Affaires municipales et de la Métropole, intitulé La réorganisation municipale, est triple :

1º donner aux municipalités régionales de comté et aux communautés les pouvoirs touchant les questions qui dépassent le territoire des municipalités locales;

2º faire appliquer les objectifs gouvernementaux en matière de développement durable et d’aménagement et, en particulier, contrer efficacement l’étalement urbain;

3º créer un secteur municipal plus efficace permettant un allégement et une meilleure répartition du fardeau fiscal.

 

Le document précise plus loin le troisième but. Il déclare que les regroupements de municipalités permettront :

 

Les motifs de la réforme ne sont donc pas uniquement d’ordre fiscal, mais la fiscalité est l’un des motifs essentiels de celle-ci.

 

La fiscalité locale québécoise remplira-t-elle ses promesses?

 

Il est bien difficile de répondre présentement à cette question. Il l’est d’autant plus que les dispositions actuelles de la loi, en ce qui concerne les nouvelles villes de Montréal, de Québec, de Longueuil, de Hull-Gatineau et de Lévis, pourront être modifiées par un simple décret du gouvernement jusqu’au 4 novembre prochain (art. 9 de chacune des Annexes I à V du projet de loi 170). De plus, le gouvernement peut, par décret, jusqu’à la même date, déclarer applicable à la nouvelle ville toute disposition contenue dans la charte d’une des municipalités regroupées ou dans la loi de la communauté urbaine dont elle faisait partie ( et suppléer à toute omission afin d’assurer l’application du projet de loi no 170). Il y a toutefois une exception : le gouvernement ne peut déroger à l’article 8 en vertu duquel les dettes et toute catégorie de surplus de chacune des municipalités regroupées demeurent à la charge ou au bénéfice des immeubles imposables de celle-ci, sauf les dettes contractées après le 20 décembre 2000 dans le cadre de la réalisation d’un projet de développement économique.

 

Des changements très importants pourraient donc être apportés à la législation par le gouvernement d’ici le 4 novembre. 

 

Si l’on prend la législation telle qu’elle est maintenant, il est toutefois déjà possible de constater que certains objectifs semblent ne pas pouvoir être atteints.

 

Tel est le cas de l’objectif de réduction des coûts, comme le signalent, d’ailleurs, les comités de transition. Et il n’y a pas lieu de s’en surprendre! Ce qui était surprenant, c’était plutôt l’argument du gouvernement voulant qu’il y ait une réduction des coûts!

 

La promesse du gouvernement voulant que l’augmentation de la taxe foncière générale et de la taxe ou la surtaxe sur les immeubles non résidentiels n’excède pas 5% cause aussi des problèmes, ce qui n’est pas étonnant non plus. Les comités de transition essaient, en conséquence, d’interpréter le plus restrictivement possible la portée des articles qui incorporent cette promesse dans les Annexes I à V du projet de loi 150 (articles 149, 129, 86, 75 et 100 respectivement).

 

Il y a lieu d’ajouter que l’objectif de mettre fin à la concurrence entre municipalités voisines paraît assez illusoire. Comment penser qu’il n’y aura pas une certaine concurrence entre les nouvelles villes de Montréal et de Longueuil et la ville de Laval ou entre les nouvelles villes de Québec et de Lévis ou même entre les nouvelles villes de Montréal et de Québec? D’ailleurs, la concurrence est-elle une si vilaine chose?

 

Quant à l’opinion voulant que les nouvelles municipalités s’imposeraient davantage sur l’échiquier international, elle n’a pas été prouvée, comme l’a remarqué le professeur Jean-Pierre Collin.

 

 

I. Entre fiscalité municipale et fiscalité d’agglomération

 

La première question qui devait se poser était celle de la fiscalité municipale face à la fiscalité d’agglomération. Il est certain, en effet, que les regroupements forcés et la création d’immenses municipalités n’étaient pas les seules solutions possibles aux problèmes municipaux.

 

La fiscalité d’agglomération que le professeur Jean-Pierre Collin a fort justement défini comme désignant " les mécanismes de prélèvement de recettes fiscales et de redistribution à l’échelle d’une agglomération urbaine ", pouvait aussi apporter des solutions.

 

Monsieur Collin en a, d’ailleurs, donné les principes et les objectifs, soulignant, en particulier, que les disparités entre municipalités d’une même agglomération urbaine proviennent non seulement des écarts de potentiel fiscal, mais aussi de la répartition inégale de la richesse sur le territoire. Il a aussi souligné les difficultés pratiques de l’application de ces objectifs, difficultés qui ne diminuent pas cependant la valeur de ceux-ci.

 

Le gouvernement québécois a choisi toutefois, à tort, à mon avis, de créer de très grandes ou de grandes villes, de confondre, en grande partie, le niveau métropolitain et le niveau local. En conséquence, comme Monsieur Collin l’a fait remarquer, les inégalités fiscales et les effets de débordement seront pris en charge par les nouvelles villes et, en conséquence, la fiscalité d’agglomération ne semble plus pertinente, sauf, jusqu’à un certain point, le cas particulier de Montréal.

 

La création de grande villes aura, par ailleurs, nécessairement un impact sur la taxation et on peut se demander si cet impact touchera la taxe foncière qui est traditionnellement et encore maintenant la source principale de revenus des municipalités. La professeure Danielle Pilette prévoit que l’importance de la taxe foncière sera réduite par rapport à celle de la tarification et de la vente de services. Elle donne pour motifs qu’il y a de moins en moins de rapports entre la taxation foncière et les services, que les services seront plus coûteux parce qu’ils seront une source potentielle de restructuration, que le dénominateur le plus élevé de rémunération sera adopté et que les nouvelles villes devront concurrencer les villes voisines. Elle conclut que le principe de la simplicité administrative devra être supplanté par celui du rendement.

 

Le professeur Andrew Sancton a fait, par ailleurs, des commentaires très intéressants sur la situation ontarienne. Il nous a fait part, en particulier, des problèmes causés par la décision d’imposer une taxe foncière provinciale en matière d’éducation et par le fait que les municipalités doivent payer 20% des coûts de bien-être social. Le gouvernement québécois ne semble heureusement pas avoir de tels projets!

 

Le professeur Sancton a traité, de plus, du problème de l’évaluation foncière. Le gouvernement ontarien, après avoir annoncé que les immeubles seraient désormais évalués d’après leur usage actuel, et non sur leur usage potentiel futur, a basé, en fait, selon lui, l’évaluation sur la valeur marchande. Le professeur Stanton a montré les problèmes qui en résultent.

 

Il y a beaucoup de discussions à ce sujet à la Section immobilière du Tribunal administratif du Québec, mais la Cour d’appel a jugé plus d’une fois que la valeur potentielle future d’une unité d’évaluation ne doit pas être considérée en évaluation municipale. Elle l’a fait encore tout dernièrement, le 1er février 2001, dans l’arrêt Ville de Kirkland c. Compagnie Immeubles Yale, la Cour déclarant qu’une telle valeur s’oppose au concept de valeur réelle prévalant au moment de l’évaluation prévu par les articles 42 à 46 de la Loi sur la fiscalité municipale.

 

 

II. La ville au service de l’entreprise ou l’entreprise au service de la ville ?

 

Les problèmes d’équité fiscale n’existent pas uniquement entre une ville centre et les municipalités voisines. Ils existent aussi entre le secteur résidentiel et le secteur non résidentiel et même entre les catégories d’immeubles faisant partie de chacun de ces secteurs. S’y ajoute évidemment la question de l’importance de la taxation sur la décision d’une entreprise de s’établir dans telle ou telle municipalité. D’où la deuxième question posée : La ville au service de l’entreprise ou l’entreprise au service de la ville ?

 

Claude Lefebvre a présenté des statistiques très intéressantes à ce sujet.

 

Comparant la situation au Québec et en Ontario, il constate que les particuliers sont surtaxés, tant au niveau provincial qu’au niveau local, au Québec par rapport à l’Ontario, mais que les taxes des entreprises sont équivalentes. Il insiste aussi sur la stabilité qui existe au Québec entre la taxation du secteur résidentiel et la taxation du secteur non résidentiel.

Ceci dit, il constate que la taxation municipale non résidentielle est traditionnellement plus élevée que la taxation résidentielle au Québec et est d’avis qu’elle est trop élevée dans les centres urbains et qu’il faut tenter de la réduire. Il ajoute que la compétition entre municipalités force un rééquilibrage du fardeau fiscal.

 

Madame Enid Slack arrive à la même conclusion en ce qui concerne la taxation des entreprises en Ontario. Elle déclare que les immeubles des entreprises sont historiquement et encore maintenant surévalués et surtaxés par rapport au secteur résidentiel et qu’il est nécessaire de changer cette situation. EIle croit toutefois qu’il faut le faire de façon graduelle. EIle cite en exemple, à ce sujet, le cas de la ville de Vancouver où la part des entreprises sera réduite de 54,9% à 50,7% en dix ans, 1% des taxes des entreprises étant transféré au secteur résidentiel chaque année.

 

Le professeur Harold Chorney a considéré le problème de la fiscalité municipale d’une manière plus générale. Il conteste l’orthodoxie fiscale de nos gouvernements et notre régime fiscal. Il insiste sur le besoin de repenser le traitement des pauvres. Il est très heureux des regroupements faits par le gouvernement, mais ajoute qu’il faudrait en profiter pour réformer notre système fiscal.

 

 

III. Le rôle de l’entreprise privée dans la fourniture des services publics municipaux

 

La dernière question que se sont posés les conférenciers est celui du rôle de l’entreprise privée dans la fourniture des services publics locaux, question qui est bien d’actualité.

 

Depuis quelques années, les municipalités peuvent faire appel à des sociétés d’économie mixte en vertu de la Loi sur les sociétés d’économie mixte dans le secteur municipal.

Les avantages de faire appel à de telles sociétés sont réels, comme l’a fait remarquer Me Louise Beaulieu qui a aussi souligné les problèmes qui peuvent se poser, problèmes liés à l’habitude en ce qui concerne les municipalités et aux mentalités différentes qu’ont les administrateurs municipaux et les administrateurs du service privé.

 

Le professeur Pierre J. Hamel, pour sa part, a comparé diverses expériences étrangères et québécoises sur le rôle de l’entreprise privée dans la fourniture des services publics locaux. Ils nous a montré les nombreux problème qui se posent. Il arrive à la conclusion qu’il est loin d’être évident que le recours à l’entreprise privée soit avantageux.

 

Le secteur communautaire peut aussi jouer un rôle important en matière de services publics, comme l’a fait remarquer la professeure Caroline Andrew. Prenant pour point de départ les centres de ressources et de santé de la ville d’Ottawa, elle a souligné le rôle de ces centres dans la fourniture de services locaux à caractère social. Elle en a démontré les avantages, en particulier la flexibilité et l’adaptation. Elle en a démontré aussi les inconvénients, en particulier les inégalités socio-économiques entre les différents quartiers.

 

Conclusion

 

Sur un plan qui dépasse le plan strictement fiscal, il est étonnant de remarquer que la question du fondement, de la raison d’être, du rôle des municipalités a été trop peu considérée lors de la discussion qui a précédé la réforme municipale québécoise. On a commencé par les moyens plutôt que par les fins, comme l’a fait remarquer le professeur Jean-Pierre Collin. Tout a été une question de foi !

 

Le gouvernement a parlé du rôle administratif de la municipalité comme dispensatrice de certains services, mais il l’a fait trop peu. Il n’a fait aucune réflexion en profondeur sur ce rôle et, en particulier, sur la nature des services que devraient offrir les municipalités.

 

Quant au rôle politique de la municipalité, celui de permettre à la population d'un territoire déterminé la possibilité de régler elle-même ses propres affaires locales, il a été passé sous silence.

 

Ce rôle est pourtant fondamental et sert de contrepoids au peu d’influence que la population peut avoir sur les autres ordres de gouvernement et au sentiment d’impuissance qui peut en résulter, frustration et sentiment d’impuissance qui ne peuvent qu’augmenter à mesure qu’augmente le niveau d’éducation de la population. Or, notre population est et sera de plus en plus éduquée et renseignée.

 

Les administrations centrales et provinciales de nos pays démocratiques du début du vingt et unième siècle sont d'énormes administrations qui sont loin physiquement, psychologiquement et pratiquement du citoyen et de la citoyenne. Ces derniers peuvent difficilement, sauf de très rares exceptions, participer à leurs décisions ou espérer avoir une influence quelconque sur celles-ci. Leur seule participation au gouvernement consiste à voter, à tous les quatre ou cinq ans, pour l'élection d'un député.

 

La municipalité peut contrebalancer, jusqu’à un certain point, cet éloignement puisqu’elle est le lieu où peuvent s'exercer le plus facilement les principes démocratiques, c'est-à-dire le lieu où la population peut véritablement diriger elle-même.

 

On peut se demander toutefois si d’immenses municipalités peuvent remplir ce rôle et si la population de celles-ci ne se retrouvera pas aussi démunie et impuissante devant elles que devant le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux.

 

Il y a lieu d’ajouter que, dans un monde qui est et sera de plus en plus internationalisé, le pouvoir est et sera de plus en plus éloigné du citoyen et de la citoyenne qui se sentent et se sentiront de plus en plus impuissants et frustrés. D’où les réactions que l’on peut constater lors de réunions semblables à celle qui a présentement lieu à Québec.

 

Qu’on le veuille ou non, les rapports entre les pays seront de plus en plus étroits. De grandes associations d'États continueront à se former et à se développer. Les institutions internationales joueront un rôle de plus en plus grand. L'espoir de participation du citoyen aux décisions prises par de telles associations et par de telles institutions sera encore moins considérable que dans le cas des États actuels. La nécessité d'institutions municipales véritablement autonomes où le citoyen peut avoir une véritable influence, où peuvent se réaliser pleinement les idées qui sont à la base de la démocratie sera, en conséquence, encore plus grande qu'aujourd'hui. Le rôle des institutions municipales n'est donc pas appelé à diminuer au cours du vingt et unième siècle. Il devrait, au contraire, devenir plus considérable. En fait, ce sont plutôt les États, dans la forme où nous les connaissons maintenant, qui devraient perdre de l'importance.

 

La fiscalité municipale québécoise remplira-t-elle ses promesses ?

 

La réforme donne aux conseils municipaux des moyens d’améliorer l’équité fiscale tant entre les contribuables des villes centrales habituelles et ceux des banlieues qu’entre le secteur résidentiel et le secteur non résidentiel. On peut se demander cependant ce qu’en feront les conseils ?

 

Globalement parlant toutefois, il me paraît loin d’être certain que la réforme soit heureuse, ni qu’elle corresponde aux besoins du vingt et unième siècle.

Si je devais me tromper cependant, j’en serais ravi.

 

Si tel est le cas, je bénirai notre gouvernement, notre ministre des Affaires municipales et de la Métropole et les nouveaux conseils municipaux qui seront élus et je chanterai, comme dans la première des cantates que Jean-Sébastien Bach a composé à l’occasion du renouvellement du conseil municipal de Leipzig :

Le Seigneur a fait pour nous des merveilles

Qui nous remplissent de joie

Qu’il assiste nos chers édiles

Et tienne pour d’innombrables

Et longues autres années

Demeure dans leur conseil.

 

Tout cela au son des trompettes, des timbales, des flûtes, des hautbois et des cordes !